La transparence permet l’équité

publié 04/24/2015

Par Jean-Robert Bisaillon

Récemment, la Songwriters Association of Canada a commencé à mettre de l’avant l’application du concept de commerce équitable pour la musique. Ce faisant, elle a été obligée d’engager une réflexion sur les paramètres qui permettraient de souligner le caractère équitable ou non des pratiques de notre secteur industriel et créatif. Or, comme c’est le cas pour certifier les acteurs de le chaine de valeur de la production de café, il importe de s’assurer que la rémunération des petits producteurs (dans notre cas, les créateurs des œuvres) est juste et équitable. Dans les filières du commerce équitable de l’alimentation, les bases de la certification se fondent sur un prix plancher minimum, la traçabilité du produit dans la chaîne de transport, la transparence des ententes et de la rémunération. Comme le souligne pertinemment bien le groupe Fair Trade Proof Transparency makes fairness possible because it makes hiding the truth impossible –  la transparence permet l’équité car elle rend le mensonge impossible.

Le distributeur numérique IODA (Independant Online Distribution Alliance) actif de 2003 jusqu’à son acquisition par Sony en 2012 (voir l’illustration A jointe) et depuis fusionné avec The Orchard, avait compris cette variable et créé des remous importants dans les pratiques industrielles en offrant aux labels distribués, des copies à consulter des ententes de livraison qu’il avait conclu avec ses partenaires. Un des tous premiers tableaux de bord en-ligne, actualisé en temps réel pour leurs clients, faisait la force de IODA. Il était possible d’y voir les pourcentages reversés par les services en-ligne à IODA.

Transparency_IODA

Dans sa présentation du projet Fair Trade Music le président de la Songwriters Association of Canada, Eddie Schwartz, identifie quatre sources de revenus pour les plateformes de diffusion numérique en flux continu (Streaming). Il s’agit des revenus publicitaires (touchés pour l’affichage sur les comptes d’usagers en formule gratuite), les revenus d’abonnements (formules payantes par mensualités pour le public usager), les revenus tirés de la vente de données et métadonnées d’usage (Data Mining ou forage de données sur vos habitudes d’écoute) et l’accroissement potentiel de la valeur des actions (Equity Appreciation). Alors que les recettes provenant de la publicité ou des abonnements sont analogues à certains flux de revenus d’une industrie de la radiodiffusion pré-ère-numérique, les revenus tirés du forage de données sont d’un genre tout à fait nouveau. Un souci de transparence élevé devra être présent chez les acteurs industriels pour établir des rapports sur la valeur des écoutes en streaming.

L’étude de l’économiste indépendant Pierre É Lalonde intitulée « Étude sur une rémunération équitable pour les créateurs de musique à l’ère du numérique » estime la portion de revenus des services de streaming actuellement dévolue à la composante des créateurs (auteurs, compositeurs et éditeurs) à seulement 4% des sommes versées à l’industrie. Le reste est absorbé par les producteurs d’enregistrements sonores. Pour renverser une telle situation, il faudra mettre en concurrence les acteurs de l’offre légale numérique sur des bases fondées sur une plus grande transparence.

Transparency_CSV_V2

Le tableau ci-haut montre un tableur de type .csv agrégeant les résultats de ventes d’un catalogue numérique tel que transmis par un distributeur. Tout comme dans l’ancien monde où les états de comptes ne faisaient aucun sens pour le lecteur non-averti, nous sommes de nouveau face à un magma incompréhensible. De plus, rien n’est plus simple qu’altérer les données dans un tableur de chiffres. Qui témoigne de la validité des informations présentées? La seule confiance que nous entretenons avec notre partenaire commercial constitue-t-elle une garantie d’affaires sérieuse? Poser la question, c’est aussi y répondre.

Tôt ou tard, il faudra que soient réglementés les procédés de vérification comptable diligente des états de comptes de la musique. De la même façon que ces types de contrôle s’exercent pour les revenus des entreprises et des particuliers par le biais des lois fiscales et comptables, il faudra intervenir dans les modes de reddition des comptes des usages des contenus numérisés sur les réseaux. En France, la firme Transparency Rights Management, est accréditée sur la base de semblables principes, par la Fédération des tiers de confiance.

La transparence ne vient pas seule, il faut la forcer.

Au sujet de Jean-Robert Bisaillon

Jean-Robert Bisaillon milite pour l’amélioration des conditions de pratique des créateurs des musiques populaires et de l’autoproduction. C’est un conférencier et un formateur en demande sur les thèmes de la gestion de carrière artistique, l’exportation et les enjeux de la musique numérique. Il a coordonné le «Forum des musiques amplifiées» et fondé la SOPREF en 1997-98. Il était musicien avec French B dans les années 1990 et fut l'un des premiers à utiliser le "sampling" au Québec. Plus récemment, il a fondé iconoclaste-TGiT, entreprise de recherche et de formation sur les enjeux de la culture numérique. Il siège ou a siégé sur de nombreux conseils et tables sectorielles : SOCAN, Musicaction, Songwriters Association of Canada, Comité directeur d’Option culture / Virage numérique (SODEC/MCCCF), Francouvertes, MUTEK, Groupe de travail sur la chanson québécoise, CIBL, CDEC Centre-Sud-Plateau-Mont-Royal.  Il est éditeur et co-auteur du premier Guide d’autoproduction de l’enregistrement sonore (2002), co-auteur du Guide pratique France-Québec du disque et du spectacle (2006, Paris, IRMA éditions) et auteur du «Petit guide Internet des auteurs et compositeurs» pour la SPACQ (2008). Il a complété un grade de maîtrise en mobilisation des connaissances à l’INRS–UCS (2013), sur les métadonnées musicales.

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