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La genèse du génie

publié 12/14/2021

Par Andrew Berthoff

« When I was younger, so much younger than today », bref, j’ai grandi avec Les Beatles. Je dois remercier ma maman mélomane pour ça. Parmi mes premiers souvenirs de la fin des années 60, je me souviens être assis à la maison à colorier et à écouter des 33 tours comme Aftermath des Stones, Tommy des Who (je me souviens m’être demandé ce qu’était « Tommy-The-Who » et s’il était comme le Nowhere Man), Blind Faith, Simon & Garfunkel, Cream et, bien sûr, les Fab Four.

Je devais avoir environ 5 ans quand Let It Be est sorti. J’étais l’unique compagnon de ma mère durant le jour pendant toute une année ; mon grand frère et ma grande sœur étant déjà au primaire.

Elle m’emmenait avec elle au cinéma pour voir des films comme Yellow Submarine, True Grit, Bananas de Woody Allen, et je me souviens très bien avoir vu Let It Be au cinéma Varsity. Mes souvenirs les plus marquants sont le plan d’une personne âgée escaladant une échelle de toit sur Savile Row pour avoir un meilleur point de vue sur le groupe, et aussi que John et George me faisaient un peu peur. J’étais plus dans l’équipe de Paul et Ringo.

Même si les Beatles font partie de mon ADN, je ne me considère pas comme un fan fini comparé à d’autres groupes pour lesquelles j’ai consigné à ma mémoire le moindre détail de tout ce qui s’y rapporte. N’empêche, je connais leur musique par cœur et je dirais sans la moindre hésitation qu’ils sont le meilleur groupe de l’histoire. Personne n’a écrit de meilleures chansons, sauf peut-être Cole Porter.

Comme on dit en bon français, j’ai « bingé » l’épique documentaire Get Back de Peter Jackson. Ces neuf heures ont passé comme un coup de vent et je ne comprends pas, même si on tient compte de notre déficit d’attention collectif, comment certains ont pu se plaindre que c’était « trop long ».

Trop long?! Ce sont les 50 années qui se sont écoulées sans qu’une nouvelle séquence ou un nouveau fait soit révélé sur le groupe qui sont trop longues. La sempiternelle histoire révisionniste du groupe est ce qui dure depuis trop longtemps. Trop, c’est le nombre de ces personnes qui nous ont désormais quittées : Lennon, Harrison, Linda McCartney, George Martin…

Après cinq décennies de néant, neuf heures de nouvelles images brillantes et authentiques, c’est tout.

Je ne peux pas imaginer un point de vue plus émerveillant sur l’art et le talent requis pour la création musicale professionnelle que Get Back. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la quantité de travail que ces génies mettent dans leur art. Si vous pensiez qu’une chanson de quatre minutes prend une minute à écrire, vous allez déchanter rapidement. Chacune de leurs chansons est peaufinée, manipulée et retravaillée au fil d’intenses séances de travail pendant un long mois rempli de longues nuits à travailler comme des chiens.

Ils avaient beau être le plus grand groupe du monde, mais ils se sont mis au TRAVAIL

 Get Back n’a que du positif pour les créateurs de musique professionnels. Je ne suis pas auteur-compositeur, mais j’ai écrit et publié de la musique et il est malheureux que trop souvent, le travail d’une vie soit balayé du revers de la main comme étant jetable et « facile ». C’est comme dire qu’un athlète des ligues majeures est « payé des millions pour jouer à un jeu d’enfants », sans tenir compte des milliers d’heures d’apprentissage continu, de pratique et de perfectionnement qui lui ont permis d’en arriver là.

S’il y a une scène de Get Back qui m’a particulièrement fait vibrer, c’est celle où John, George et Ringo sont dans un coin du studio pour discuter d’un sujet plutôt sans importance avec le légendaire producteur Glyn Johns. Hors champ, on entend les tout premiers accords de ce qui deviendra « Let It Be » joués par Paul, assis au piano. Le reste du groupe n’y porte aucune attention et continue de discuter, personne ne sursaute en criant  : « Paul, c’est QUOI ça! » Non, ils discutent parce que c’est ça, la création musicale au quotidien.

Même si pour moi ce moment est emblématique du processus créatif (j’imagine des doigts tendus sur le point de toucher le toit de la chapelle Sixtine), c’est l’un des nombreux incidents discrets, mais envoûtants de Get Back. C’est une expérience profondément spirituelle et quasi religieuse.

J’ai toujours pensé que chaque fois qu’un auteur-compositeur se vante d’avoir mis « 20 minutes à écrire » une chanson à succès, il se rend un mauvais service à lui-même et à ses collègues créateurs de musique.

L’essence de la chanson a peut-être vu le jour en quelques minutes, mais c’est sans compter les années d’apprentissage, de pratique et de préparation qui lui ont permis d’arriver à ce point, et les heures, les jours, les semaines de travail de huit jours, sans parler des mois de bidouillage, d’arrangements, de répétitions, d’enregistrement et de matriçage qui ont fait de sa chanson le succès qu’elle est devenue.

Aucun des membres des Beatles, de mon point de vue, n’avait de prétention ou de grands airs dans les images qu’on voit. Ils avaient beau être le plus grand groupe du monde depuis huit ans, ils se sont quand même présentés au studio avec leurs instruments et ils se sont mis au travail. Ils débattent, cajolent, plaisantent, poussent, ajustent – en un mot, ils collaborent. Ils ne sont pas entrés dans l’espace de répétition avec des idées préconçues de grandeur, ni même avec une indication perceptible à mes yeux qu’ils étaient convaincus qu’ils allaient créer quelque chose de bon.

En effet, comme les meilleurs d’entre nous, c’est leur humilité créative qui a semblé les pousser à aller de l’avant, sans présomption, jusqu’à ce que, finalement, la créativité cède au commerce. Les interruptions créatives des tentacules commerciales commencent à être perceptibles dans la troisième partie de Get Back. Pour moi, un moment aussi triste que les premiers accords de « Let It Be » sont là où la magie s’opère.

On doit beaucoup aux Beatles, mais on doit un immense merci à Get Back de présenter le réel contexte de l’art, du talent et surtout du travail acharné qu’exige la création musicale. Ce que le fil documente, c’est la genèse du génie.

À propos d’Andrew Berthoff

COVID-19 : vers des jours meilleurs

publié 04/2/2020

Par Alan Cross

Un soir du début de l’an 1348, un rat détalait dans une rue de Florence, en Italie. Ce rat était un passager clandestin dans une charrette transportant des biens depuis le port de Livourne. Peut-être s’était-il caché dans le cargo d’un navire arrivant de Grèce, de Crimée ou d’une lointaine destination encore plus à l’est.

Mais ce rat était lui-même le vaisseau d’autres passagers clandestins : des puces infectées par la bactérie Yersinia pestis, à l’origine de la peste bubonique. L’absence quasi totale de mesures sanitaires et d’hygiène à Florence permettra à la population de rats d’exploser et, conséquemment, aux cas de peste noire également.

À la fin de cette année, Florence était devenue l’épicentre d’une pandémie. En à peine trois ans, 50 000 personnes — la moitié de la population de la ville — ont perdu la vie.

Une chose étrange s’est néanmoins produite. La peste a changé la vision du monde de l’humanité entière. Les gens ont remis leur propre existence et la réalité même en question. Les gens ont commencé à réfléchir à leur situation en tant qu’êtres vivants plutôt que de placer l’église et la promesse du paradis au centre de leurs vies. Cette nouvelle attitude que nous avons depuis baptisée humanisme finira par dominer le discours des érudits, des intellectuels et des artistes.

Ce changement radical de philosophie donnera naissance à la Renaissance, une époque qui a vu l’Europe du Moyen-Âge entrer dans l’ère moderne. Florence — et l’Italie en entier — est entrée dans une période qui nous a donné d’innombrables œuvres d’art dans le domaine de la peinture, de l’architecture et de la poésie, notamment. D’ailleurs, le terme « mort noire » (mors nigra, ne latin) a fait son apparition dans un poème écrit en 1350 par l’astronome belge Simon de Covino.

Il va sans dire que le domaine de la musique a également été bouleversé.

Après des siècles de création musicale articulée autour de l’accord pythagoricien, un nouveau langage musical axé sur la polyphonie était en émergence. La presse typographique — une invention de la Renaissance — a permis de disséminer les partitions musicales d’un bout à l’autre du continent. Les premières vedettes de la musique — compositeurs et interprètes — ne tardèrent pas à voir le jour.

Faisons maintenant un bond de quelques siècles vers le futur. Pendant que la population mondiale se remettait de la peste noire, l’Europe fut frappée par d’autres épisodes de peste. Henry VIII a passé un certain temps en confinement volontaire en raison d’une épidémie de suette en 1529. Une autre grande épidémie frappera Londres au début des années 1600.

Et une fois encore, ces périodes d’anxiété extrême ont donné naissance à de grandes œuvres d’art. En 1606, Shakespeare écrira King Lear, Macbeth et Antoine et Cleopatra. Au même moment, des compositeurs comme Bach, Vivaldi et Haendel entreprirent des expériences musicales qui devinrent le mouvement baroque, un mouvement musical qui influencera la musique pendant des siècles.

Faisons un autre bond de quelques siècles. Fin 19e et début 20e siècle, l’une des villes les plus insalubres du monde était La Nouvelle-Orléans. La chaleur, l’humidité, les marécages et l’influx constant de navires en provenance du golfe du Mexique, des Carraïbes et d’un peu partout à travers le monde en feront une plaque tournante pour des maladies comme l’influenza — une pandémie de la maladie en 1889-90 a tué au moins un million de personnes —, le choléra, l’encéphalite, la fièvre jaune et, encore une fois, la peste bubonique. Malgré cela, La Nouvelle-Orléans trouvera les ressources pour inventer le ragtime et le jazz, la forme dominante de musique en Amérique du Nord pendant la première moitié du 20e siècle.

Lorsque le jazz s’est répandu aux quatre coins du monde dans les années 1920, il y a lieu de se demander si c’était une réaction de joie dans la foulée de la fin de la première Grande Guerre ou dans la foulée de la fin de la pandémie de grippe espagnole de 1918-1920. Sans doute un peu des deux.

Prenons encore l’exemple de la crise du SIDA/VIH de la fin du 20e siècle. Pensez à la quantité phénoménale d’œuvres remarquables — musique, théâtre, romans, films, chorégraphies, et j’en passe — qui a été inspirée par cette pénible époque.

Maintenant, prenez un instant pour réfléchir à ce qui se passe aujourd’hui. Les temps sont sombres pour l’industrie de la musique. Personne n’est en tournée. Les salles de spectacles sont fermées. Les ventes de musique sont à leur plus bas niveau depuis les années 60. Même la diffusion en continu est en baisse, vraisemblablement parce que les gens se tournent vers d’autres formes de divertissement pendant leur confinement. Les musiciens, leurs équipes techniques, les promoteurs, agents, gérants — tous les gens associés de près ou de loin à l’art et aux affaires musicales — ont vu leur façon habituelle de travailler complètement chambardée.

Mais ça ne veut pas dire qu’il n’en ressortira rien de bon. Les artistes ont déjà trouvé des façons créatives de rejoindre leur public sur diverses plateformes de diffusion en direct. D’autres profitent de ce temps pour créer, expérimenter et enregistrer. Combien de jeunes, ne sachant quoi faire d’autre, ont finalement ramassé cette guitare ou se sont assis au piano et se sont découvert un talent inné pour la musique ? Certaines entreprises ont mis gratuitement à la disposition de tous des applis de synthés afin que les gens puissent s’amuser. Qui sait ? Cela pourrait déboucher sur quelque chose d’incroyablement bon et inattendu ! Je parie que ce sera le cas.

Quand tout ça sera derrière nous, on pourrait bien se retrouver avec encore plus d’excellente musique que ce qu’on pourrait penser. L’automne 2020 et les premiers mois de 2021 pourraient fort bien être une période très excitante. Et même si les concerts virtuels et les diffusions en direct se poursuivent, notre société aime être présente physiquement lorsque des œuvres d’art sont présentées publiquement. Les spectacles et les tournées reprendront de plus belle.

D’ici là, je suggère à tous les artistes de tenir un journal quotidien. Notez tout ce que vous ressentez et toutes vos observations sur l’actuelle condition humaine. Documentez ce qui se passe à votre façon bien personnelle. Qui sait quelles percées créatives en ressortiront ?

Mais avant toute chose, tenez bon. Demeurez en sécurité et protégez votre santé. Concentrez-vous sur ce que vous faites le mieux. Si le passé est garant de l’avenir, cette période anxiogène débouchera sur de grandes œuvres d’art. Et l’une d’elles sera peut-être la vôtre.

À propos d’Alan Cross

Les « affaires musicales »

publié 08/29/2019

Par Widney Bonfils

Depuis mon arrivée à la SOCAN, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreux auteurs et compositeurs émergents. Un de leurs points communs est cette volonté profonde de « réussir » dans l’industrie musicale. Ce désir de partager leur art me fascine, tant par le courage qu’il demande, mais aussi pour cette passion contagieuse qu’ont ces artistes en devenir.

Au fil de discussions captivantes, je me suis cependant aperçu que beaucoup n’avaient aucune idée de ce dans quoi ils s’apprêtaient à plonger. Je me suis rendu compte que beaucoup d’entre eux n’évaluaient absolument pas la charge de travail et les connaissances nécessaires afin de naviguer dans cette industrie. L’idée de dire que « je veux juste faire de la musique » est à mon avis complètement obsolète et ridicule. Comment peut-on prétendre réussir dans une industrie que l’on ne comprend pas? Imaginez-vous un aspirant banquier qui ne comprendrait pas la base de l’économie ou de la finance? C’est la même chose en musique. Faire de la bonne musique est la bonne porte d’entrée, mais ne garantit en rien un quelconque succès.

La première question que devrait se poser quelqu’un qui aspire à ce milieu est la suivante : est-ce pour moi un hobby ou est-ce que je veux tirer profit de mon art? Cette question est cruciale, car elle déterminera le futur de celui ou celle qui aspire à gagner sa vie dans cette industrie. Car faire carrière dans la musique demande bel et bien un profil d’entrepreneur. Et comme toute entreprise en démarrage, il faut faire les choses par étape et ne pas vouloir aller trop vite. Voici quelques points de réflexion qui, je l’espère, pourront aider à mieux cerner les bases de cette industrie.

L’importance de s’informer

L’ignorance n’a jamais été, n’est pas, et ne sera jamais sexy. L’idée de dire qu’on fait de la musique et qu’on n’a pas besoin de comprendre la partie business est complètement folle, voire irresponsable. On ne va pas faire de l’escalade sans équipements. De la même manière, on ne n’entre pas dans cette industrie sans s’équiper des bases. En gros, voici quelques notions, qui à mon sens sont essentielles à une bonne compréhension du milieu en général :

  • Les droits d’auteurs (mécaniques, performance…)
  • Les sociétés de gestion et leurs responsabilités (SOCAN, RE:SONNE…)
  • Les modes de financement et les institutions qui supportent l’industrie musicale (Musicaction, Factor, CALQ, CAC…)
  • Les différents intervenants en musique et leurs responsabilités (labels, éditeurs, agents de spectacles…)
  • Les plateformes de diffusion et leur fonctionnement

C’est la responsabilité de l’entrepreneur musicale de comprendre ces notions, car une fois comprises, il ou elle pourra cerner ses besoins et commencer à se bâtir une équipe.

Bien s’entourer, mais rester maitre de son bateau

Au fil des discussions et des rencontres, j’ai pu constater un réflexe qu’ont beaucoup d’auteurs et compositeurs émergents : cette volonté de se trouver un gérant, un éditeur ou un label sans comprendre le rôle et les différences entre ces intervenants et sans avoir pris le temps d’évaluer leurs propres besoins. Il ne faut pas s’étonner de se retrouver dans des situations compromettantes par la suite. En revanche, une fois ces notions comprises et les besoins identifiés, je crois fondamentalement en l’importance de se bâtir une équipe. On ne peut certainement pas tout faire seul. Avoir la bonne équipe peut permettre à l’auteur de pouvoir se concentrer sur ce qu’il préfère , la musique, tout en étant assuré que la partie business est entre de bonnes mains. Cela passe néanmoins par une compréhension préalable des notions que nous avons exposées précédemment. Je pense que l’artiste est au cœur du projet et est aussi le CEO de son équipe et du projet bâti autour de lui ou elle.

Savoir gérer le rejet et avoir le courage de poursuivre ses rêves

Beaucoup abandonnent, car ils se rendent compte de la difficulté du milieu. Beaucoup d’appelés, peu d’élus. Ces individus n’étaient pas prêts ou du moins voyaient ce hobby comme une profession. L’industrie musicale est une des plus gratifiantes, mais aussi une des plus frustrantes. Avant de pouvoir goûter au succès, il faut être prêt à endurer beaucoup de rejets, ce qui n’est pas chose facile. Même quand on a réussi, il faut apprendre à gérer ce succès; d’où l’importance de bien s’entourer. Le stress mental que peut représenter le fait d’être tout le temps sollicité peut rapidement devenir problématique psychologiquement si on ne sait pas le gérer.

À mon avis, une fois qu’on a pris conscience de son talent et surtout qu’on a pris la décision d’en vivre, s’installe une responsabilité de partage. Je crois fondamentalement à la puissance de la musique. Elle nous rassemble, nous motive, nous guérit… Cette partie intégrante de la culture est cruciale pour l’humanité tant elle fait partie de nos vies. Je crois aussi à l’importance de nos artistes et suis attristé de voir certains abandonner une carrière de manière prématurée. Ce n’est pas un métier facile. Comme je le mentionnais, savoir conjuguer avec le rejet, la déception et les difficultés financières du début n’est pas évident. Il faut s’accrocher, car ça en vaut la peine.

Comme toute industrie, l’industrie musicale fonctionne par palier. Oui, les grands noms de ce monde, tels que les Drake, The Weeknd ou autres sont vus comme étant des artistes à succès faisant des millions par année. Mais beaucoup d’artistes vivent plus que convenablement de leur art. Pour moi, c’est ça le succès.

 

Survivre à un « non »

publié 12/13/2016

Par Savannah Leigh Wellman

L’impact positif des programmes de développement artistiques sur la scène musicale canadienne — bourses et concours de toute sorte — est indéniable. Les artistes qui se donnent la peine de comprendre cette industrie voient rapidement leur musique non seulement comme une forme d’art, un passe-temps ou une prise de risque, mais également comme une entreprise viable à l’intérieur de laquelle ils peuvent apprendre à utiliser certains outils pour bâtir leur carrière. Le financement accordé à un artiste est immédiatement réinvesti dans leur industrie. Les programmes comportant un volet de mentorat ou de rencontres professionnelles offrent des occasions inestimables de rencontrer des « initiés » et de créer des contacts qui, vraisemblablement, en d’autres circonstances, n’existeraient pas. Être sélectionné pour un programme ou une bourse est presque toujours un coup de pouce inespéré et un « boost » pour la confiance d’un artiste.

Mais que se passe-t-il lorsque le fait d’être laissé à l’écart de ces occasions provoque l’effet contraire : découragement et doute chez des personnes souvent déjà passablement autocritiques ? Cela peut créer des divisions au sein même de la communauté que ces programmes visent à soutenir, ou entraîner des jugements ou des sentiments que tout est dû à certaines personnes. Loin de dire que ces programmes ne devraient pas exister — ils jouent un rôle crucial dans les carrières des artistes émergents, rôle que les maisons de disques ne peuvent généralement plus remplir. La question se pose alors : comment pouvons-nous aider ces artistes rejetés à ressortir grandis de cette expérience, plutôt qu’abattus ?

Quiconque a déjà travaillé avec un artiste comprend qu’un esprit créatif est souvent un esprit sensible, et c’est précisément cette sensibilité qui rend un artiste intéressant pour son auditoire et ce qui lui confère sa perspective unique sur la condition humaine. Lorsque votre produit est si intime et personnel, les critiques peuvent paraître d’autant plus acérées, et les artistes en début de carrière n’ont pas toujours acquis les mécanismes de défense de leurs pairs plus expérimentés. Ils n’ont pas encore de légions d’admirateurs leur envoyant des messages de soutien ou des succès sur lesquels s’appuyer pour se rassurer, tout comme ils n’ont souvent pas encore d’agents ou d’équipe pour les aider à garder un esprit positif. Pour un artiste qui tente de percer seul, des blessures à la confiance en soi peuvent avoir des conséquences bien réelles.

D’abord, demandons-nous pourquoi le fait de ne pas être sélectionné pour un programme ou un autre est perçu comme une critique. Comment se fait-il qu’un artiste ne puisse pas simplement faire fi d’un refus et passer à un autre appel ? Je crois que c’est attribuable au fait que lorsque l’on met sa musique en jeu afin qu’elle soit jugée, critiquée et évaluée, il est pratiquement impossible de ne pas en faire une affaire personnelle. On se sent comme si quelqu’un examinait tout ce que nous nous sommes désâmés à créer pour ensuite décider que c’est sans valeur, alors qu’en réalité c’est tout simplement qu’il n’y a pas assez d’argent, de places dans la vitrine ou de prix à attribuer à tous ceux qui le méritent.

La chose la plus importante à garder à l’esprit lorsque vous mettez votre musique en jeu d’une manière ou d’une autre, c’est que l’art est intrinsèquement subjectif. Même s’il existe des lignes directrices pour en mesurer certaines composantes plus concrètes (une mélodie puissante, une réalisation professionnelle, des paroles captivantes), tout se résume, en fin de compte, à l’opinion d’un individu. D’ailleurs, l’industrie de la musique a-t-elle jamais été unanime sur ce qui est bon ou non ? Ce n’est pas parce qu’un petit groupe de personnes qui ont un pouvoir décisionnel sur votre demande ont jugé que votre musique n’était pas meilleure que celle qu’ils ont écoutée juste avant qu’un autre groupe sera du même avis.

Certains programmes offrent également des commentaires aux participants qui le désirent, et cela peut être fort utile pour avancer et s’améliorer. Tout est une question de savoir prendre les choses avec un grain de sel et, lorsque vous êtes d’accord avec certaines de ces suggestions, allez-y ! Suivez-les.

D’autres fois, plutôt que de provoquer de l’insécurité, un « non » va déclencher des sentiments de colère et une réaction défensive. « Mais j’ai fait ceci, et je mérite cela ! »  Ou encore un réflexe de comparaison : « Mais pourtant j’ai fait ceci, et pas eux ! » Ces états d’esprit engendrent de la négativité et de la compétitivité au sein d’une scène musicale, et ils peuvent même créer de la jalousie et du ressentiment envers des artistes qui autrement méritent tout notre soutien. Il est important de se souvenir que tout le monde trime dur et que le succès des autres n’enlève rien au vôtre.

Si vous êtes préoccupé pour une question de procédure ou de politique, que vous souhaitez vous assurer que certaines normes sont respectées, ou que les processus sont transparents et accessibles, il est avisé d’en discuter avec la personne responsable. Il est toutefois crucial de présenter vos arguments de manière impartiale et rationnelle et non pas comme une défense basée sur vos émotions. Ne mettez pas l’accent sur le fait que vous n’avez pas été retenu, mais sur la directive ou la politique qui vous semble contre-productive, ainsi qu’à d’autres artistes.

Nous avons une chance inouïe de vivre dans un pays comme le Canada qui soutient l’art et la culture ; c’est unique au monde. Et même si c’est parfois décourageant de faire des demandes de soutien et de ne pas être retenu, il est important de ne pas perdre de vue que la vraie raison pour laquelle vous avez commencé à faire de la musique : il y a fort à parier que votre objectif n’était pas de gagner des concours ou enregistrer des albums, mais seulement si quelqu’un d’autre en assumait les frais.

Tous les musiciens ont leurs histoires de rejet, mais ce sont ceux qui persévèrent qui ont les meilleures chances d’avoir une carrière couronnée de succès.

 

Savannah Leigh Wellman fut, pendant huit ans, directrice des programmes à la Music BC Industry Association et est elle-même artiste sous le nom de scène de SAVVIE, en plus d’être cofondatrice de Tiny Kingdom Management & Artist Services.

Noble œuvre

publié 10/28/2016

Par Andrew Berthoff

Depuis que les gens des Nobel ont annoncé que le brillant auteur-compositeur Bob Dylan était le lauréat du Prix Nobel de littérature 2016, on me demande souvent ce que j’en pense. Mes proches connaissent mes études et ma passion pour la littérature ainsi que mon parcours professionnel en communication et marketing au sein de l’industrie de la musique, c’est donc logique de me poser la question.

Alors… J’en pense quoi??

Je crois que c’est fantastique pour la noble et honorable profession de création musicale. J’adore le fait que cela mette en lumière le combat noble et honorable de la SOCAN, soit de défendre les droits des créateurs et éditeurs de musique. Ne serait-ce que pour ça, j’aime cette décision.

J’ai toutefois — à l’instar de Dylan lui-même, je crois — l’impression que ce Prix est inapproprié, ne serait-ce que parce que le principal intéressé aime la simplicité dans son métier et son travail. Ni plus ni moins. Il affirme que « Blowin’ in the Wind » a été créée en 20 minutes. Elle lui est venue naturellement, les muses l’inspirant avec urgence et aisance, comme elles le font quasi miraculeusement, mais tout aussi rarement.

L’écriture de chansons et la composition de musique sont presque toujours un dur, dur labeur. Il y a quelques rares exemples de classiques instantanés, tout comme il y a des chefs-d’œuvre de Picasso qui ont été créés en quelques minutes. Mais la vaste majorité des chansons et autres œuvres musicales nécessitent, figurativement, de suer sang et eau — et un temps considérable à compléter.

Si Bob Dylan se prenait vraiment au sérieux et avait une attitude précieuse face à son travail, il aurait sûrement une opinion différente de se voir décerner — et encore moins d’accepter — le Prix Nobel de littérature. Le fait qu’il soit si humble et insaisissable à propos de son art rend justement cet honneur d’autant plus compliqué.

J’ai tendance à croire que d’accorder le Prix Nobel de littérature à un auteur-compositeur est un coup de publicité brillant et sans doute calculé. Il surprend et réjouit. Il fait parler les gens. Tout comme une grande œuvre d’art, il suscite une réaction, et celle-ci n’a pas à être positive pour qu’il soit considéré comme réussi. La controverse crée l’intérêt et sensibilise. En choisissant l’insaisissable et capricieux Bob Dylan, les responsables ont sans doute anticipé que sa réaction, ou plutôt son absence, en l’occurrence, ajouterait un peu d’intrigue et attiserait la controverse entourant ce choix.

Ce coup publicitaire pourrait toutefois nuire à l’image de marque « Nobel ». Les grands maîtres de la littérature qui s’offusquent de ce choix sont nombreux et plus véhéments même que lorsque le Prix Nobel de la paix avait été accordé à Barack Obama après relativement peu d’années en poste. Mais dans toute remise de prix subjective, la liste des gens qui n’ont pas reçu ce prix remet inévitablement en question la liste des lauréats. L’inférence, ici, c’est que Bob Dylan serait un plus grand auteur que Joyce, Proust ou Nabokov.

Même si la réputation du Prix Nobel a peut-être souffert, ce qui n’a rien pour me plaire, j’aime toutefois le fait que la crédibilité de l’écriture de chansons en tant que forme d’art respectable a pris du gallon.

Le Prix Nobel en sciences économiques a été instauré en 1969, et peut-être que la solution à l’actuelle controverse serait que l’institution plus que centenaire instaure une nouvelle catégorie : Le Prix Nobel en Musique. Ça tombe sous le sens et ça permettrait aux Prix de prendre de l’expansion. Tout comme les nouvellistes, les dramaturges et les poètes peuvent être en lice pour le Nobel de littérature, tous les types de créateurs musicaux pourraient l’être pour le Nobel en musique.

Et je m’attendrais de plus à ce que des membres SOCAN comme Leonard Cohen et Joni Mitchell en soient de futurs lauréats.

La diffusion continue exige un nouveau modèle d’affaires

publié 11/5/2014

Par Terry McBride

La diffusion continue est l’avenir de la consommation de musique.

D’après les chiffres de Nielsen de 2013, la diffusion continue de musique a augmenté de 32 pour cent par rapport à l’année précédente à 118,1 milliards de diffusions. Dans l’ensemble, les ventes de musique ont fléchi de 6,3 pour cent à environ 1,5 milliard de pistes, d’albums et de vidéos. Les ventes numériques de musique (les téléchargements) ont également chuté, soit de 6 pour cent, environ au même rythme.

L’Association de l’industrie du disque d’Amérique du Nord (RIAA) a récemment annoncé que les revenus des services de diffusion continue de musique ont surpassé ceux des ventes de CD, et se situent à un cheveu des ventes totales de musique sur support matériel. La RIAA affirme également que la diffusion continue représentait désormais 27 pour cent des revenus de l’industrie du disque dans la première moitié de 2014, contre 20 pour cent l’année précédente.

Environ 35 pour cent des revenus de ma maison de disques, Nettwerk Records, proviennent déjà de la diffusion continue, et cette proportion ne fera qu’augmenter dans les années à venir.

Lorsque la musique est diffusée en ligne, les auteurs-compositeurs en Amérique du Nord sont actuellement en grande majorité sous-payés pour la musique qu’ils créent, des fractions de millième de cent pour chaque diffusion continue (bien que, comme  le chef de la direction de la SOCAN Eric Baptiste l’a souligné dans le dernier blogue de la SOCAN, il y ait des raisons à cela). Il en va généralement de même pour les interprètes et les petites maisons de disques dont la musique est diffusée en ligne. C’est pourquoi la diffusion continue ne compense pas le déclin des ventes matérielles et des téléchargements en Amérique du Nord.

La solution à ce problème pour les compagnies de disques est de demander un pourcentage des revenus gagnés par les entreprises de diffusion continue au lieu d’un pourcentage « par écoute » (ou dans ce cas, « par diffusion »). La solution doit également créer des accords équitables entre les étiquettes et leurs artistes leur assurant d’être correctement rémunérés après de telles négociations.

Il y a une bonne part de résistance générationnelle à cette idée. Les générations passées croient fermement que les taux de rémunération sur les enregistrements doivent être établis par un organisme de réglementation gouvernemental. Mais dans le monde en ligne, où les frontières ont de moins en moins de signification, où une chanson peut être diffusée à une seule personne au lieu de l’être à des centaines de milliers comme à la radio, et où les revenus des entreprises de diffusion continue sont écrasés par de nombreux autres beaucoup plus importants comme ceux des médias traditionnels comme la télévision et la radio, le seul moyen concret d’avancer est d’abandonner la réglementation fondée sur les fractions de cent et de négocier des accords de pourcentage directement avec les sociétés de diffusion continue. En plus du paiement pour accéder à leur musique, les grandes étiquettes de disques tirent déjà des revenus des entreprises de diffusion continue de musique.

Cette approche peut fonctionner. En fait, elle le fait déjà. Les pays nordiques européens constatent une croissance de la diffusion continue de musique, et leurs artistes y trouvent une part importante de leur gagne-pain. L’industrie norvégienne du disque constate que les revenus de la diffusion continue étaient en hausse de 66 pour cent dans la première moitié de 2013. Les revenus de la diffusion continue représentent les deux tiers des revenus totaux de la musique en Norvège. Il en va de même en Suède, en Finlande et au Danemark. L’industrie musicale de la Suède a repris un taux de croissance dans les deux chiffres, même si environ 90 pour cent de la musique consommée dans ce pays provient de la diffusion continue.

En comparaison, si le principe de la fraction de cent ne disparaît pas un jour ou l’autre, l’industrie du disque nord-américaine continuera de reculer chaque année à un rythme de cinq à six pour cent. En fait, l’une des raisons qui ont permis à Nettwerk de prospérer face à ce déclin continu est que 90 pour cent de ses recettes proviennent de l’extérieur du Canada.

Les signes sont là. Il faut abandonner les vieilles façons de faire. L’industrie du disque doit avancer, et rapidement en plus, pour s’adapter à la nouvelle réalité de la diffusion continue de musique.

Les points de vue exprimés dans cet article et les autres commentaires qui figurent dans ce blogue ne sont pas nécessairement ceux de la SOCAN.