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L’inventivité canadien remplace l’isolement par l’adaptation

publié 06/24/2020

Par Howard Druckman

Il y a maintenant plus de trois mois que les instructions des responsables de la santé publique nous condamnent à l’auto-isolement en réponse à la propagation du virus de la COVID-19. Les 100 derniers jours n’ont pas été faciles pour celles et ceux qui font de la musique.

À une époque où l’écoute de la musique en ligne est devenue la norme et où les taux de redevances d’exécution sont au plus bas, les spectacles en direct sont le refuge le plus sûr des créateurs de musique désireux de continuer à gagner leur vie. Depuis que les salles ont été contraintes à fermer leurs portes, les musiciens se sont tournés vers les plateformes de diffusion en ligne pour survivre – qu’il s’agisse d’offrandes, de vente de billets ou de redevances du programme Encore! de la SOCAN.

Même si les règles commencent à s’assouplir dans certaines régions du pays, la première vague n’est pas encore terminée, et nous vivons sous la menace d’une seconde vague, ce qui veut dire que la rareté des spectacles en direct pourrait durer plus longtemps que prévu.

La bonne nouvelle, c’est que l’inventivité des Canadiennes et des Canadiens remplace l’isolement par l’adaptation. Une poignée de musiciens ont mis leur créativité au service de la découverte de façons sécuritaires de présenter des concerts en direct en pleine pandémie. La nécessité est la mère de l’invention, et certaines des solutions qui ont vu le jour dernièrement sont franchement élégantes.

Concerts organisés dans un ciné-parc. Le premier projet canadien de concert organisé dans un ciné-parc  dont j’ai entendu parler a été celui de la formation québécoise 2 Frères. Ce fut ensuite le tour de July Talk et de Brett Kissel, puis du RBC Bluesfest avec le CNA à Ottawa. Écouter de la music en direct en toute sécurité dans votre auto me semble être un excellent compromis. J’aime l’idée que ça donne une seconde vie aux ciné-parcs, dont on se souvenait avec une certaine nostalgie. Un concert rock présenté depuis le toit d’un immeuble devant un terrain de stationnement rempli d’autos était également prévu à Prince George, en Colombie-Britannique. Dans la même veine, une nouvelle organisation appelée Hotels Live lance la toute première série de concerts de balcon d’hôtel au Canada, initiative qui rappelle le concert présenté à Montréal par Martha Wainwright sur un balcon.

Mini-concerts. Les musiciens peuvent se produire en toute sécurité devant des auditoires d’une personne ou de deux, trois ou quatre membres d’une même famille à la fois. Le Festif! de Baie-Saint-Paul (Charlevoix, Québec) a entrepris une série « tournée des portes » dans le cadre de laquelle il chantait une chanson devant une maison, puis une autre devant celle du voisin. Matt Masters, de Calgary, vend des billets pour des concerts sur le trottoir présentés à partir du toit de sa mini-fourgonnette devant des maisons de fans. Son concitoyen Michael Bernard Fitzgerald accueille dans sa cour arrière des auditoires de quatre spectateurs à la fois dans le cadre de mini-concerts.  À Esquimalt, en Colombie-Britannique, Jeff Stevenson se tient sur la rive de la Gorge Waterway pour faire une sérénade à des groupes de personnes qui passent en bateau. Stéphanie Bédard, au Québec, fait quelque chose de similaire avec son « Tour des lacs ». Les Dear Criminals de Montréal ont présenté 72 prestations en direct d’une chanson chacune en trois jours au Cabaret du Lion d’Or devant des auditoires de deux personnes à la fois.

Scènes mobiles. Les musiciens peuvent effectivement faire des tournées en apportant leur scène avec eux afin de respecter les règles de distanciation physique. Michael Bernard Fitzgerald se propose d’entreprendre à l’automne une tournée des fermes canadiennes devant des auditoires de 10 personnes par soir à partir de la « Greenbriar », une scène en plein air qu’il a construite. Dans le même ordre d’idées, le Io Project est une scène mobile « anti-COVID » qui permet aux artistes de se produire en direct devant jusqu’à 250 spectateurs regroupés par grappes de deux à quatre personnes et isolés par des feuilles de plaxiglass.

Autres idées

* Pourquoi pas une série de concerts de cour intérieure dans le cadre desquels les musiciens se produiraient dans la cour d’immeubles résidentiels sélectionnés pendant que les locataires écoutent leur musique en toute sécurité sur leur balcon?
* Ou, à l’inverse, en répartissant les membres d’un groupe sur plusieurs balcons d’un immeuble résidentiel et en les faisant jouer à distance devant un public confortablement installé plus bas dans la cour intérieure?
* On pourrait engager des musiciens individuels pour se balader à intervalles réguliers dans des sentiers pédestres ou des parcs publics, à une distance réglementaire, afin de distraire les gens qui prennent de l’exercice à l’extérieur durant la pandémie et de rendre leurs sorties encore plus agréables.
* Les municipalités de partout au pays pourraient permettre aux restaurants d’accueillir des artistes sur leur terrasse pour ajouter une note de gaieté à leurs repas en plein air (même si la Ville de Toronto en a dernièrement décidé autrement en assouplissant les règles liées à la pandémie).
* Pourquoi ne pas permettre la présentation de spectacles dans des kiosques de parcs publics où une distanciation sociale (modérément appliquée) est observée?

Ces façons intelligentes de s’adapter prouvent qu’il est encore possible de songer à de nouvelles manières de se présenter en spectacle en espérant que d’autres idées brillantes soient mises à exécution. Un grand merci à celles et ceux qui découvriront de nouvelles façons géniales de nous rapprocher un peu plus des joies de la musique en direct.

À propos de Howard Druckman

COVID-19 : vers des jours meilleurs

publié 04/2/2020

Par Alan Cross

Un soir du début de l’an 1348, un rat détalait dans une rue de Florence, en Italie. Ce rat était un passager clandestin dans une charrette transportant des biens depuis le port de Livourne. Peut-être s’était-il caché dans le cargo d’un navire arrivant de Grèce, de Crimée ou d’une lointaine destination encore plus à l’est.

Mais ce rat était lui-même le vaisseau d’autres passagers clandestins : des puces infectées par la bactérie Yersinia pestis, à l’origine de la peste bubonique. L’absence quasi totale de mesures sanitaires et d’hygiène à Florence permettra à la population de rats d’exploser et, conséquemment, aux cas de peste noire également.

À la fin de cette année, Florence était devenue l’épicentre d’une pandémie. En à peine trois ans, 50 000 personnes — la moitié de la population de la ville — ont perdu la vie.

Une chose étrange s’est néanmoins produite. La peste a changé la vision du monde de l’humanité entière. Les gens ont remis leur propre existence et la réalité même en question. Les gens ont commencé à réfléchir à leur situation en tant qu’êtres vivants plutôt que de placer l’église et la promesse du paradis au centre de leurs vies. Cette nouvelle attitude que nous avons depuis baptisée humanisme finira par dominer le discours des érudits, des intellectuels et des artistes.

Ce changement radical de philosophie donnera naissance à la Renaissance, une époque qui a vu l’Europe du Moyen-Âge entrer dans l’ère moderne. Florence — et l’Italie en entier — est entrée dans une période qui nous a donné d’innombrables œuvres d’art dans le domaine de la peinture, de l’architecture et de la poésie, notamment. D’ailleurs, le terme « mort noire » (mors nigra, ne latin) a fait son apparition dans un poème écrit en 1350 par l’astronome belge Simon de Covino.

Il va sans dire que le domaine de la musique a également été bouleversé.

Après des siècles de création musicale articulée autour de l’accord pythagoricien, un nouveau langage musical axé sur la polyphonie était en émergence. La presse typographique — une invention de la Renaissance — a permis de disséminer les partitions musicales d’un bout à l’autre du continent. Les premières vedettes de la musique — compositeurs et interprètes — ne tardèrent pas à voir le jour.

Faisons maintenant un bond de quelques siècles vers le futur. Pendant que la population mondiale se remettait de la peste noire, l’Europe fut frappée par d’autres épisodes de peste. Henry VIII a passé un certain temps en confinement volontaire en raison d’une épidémie de suette en 1529. Une autre grande épidémie frappera Londres au début des années 1600.

Et une fois encore, ces périodes d’anxiété extrême ont donné naissance à de grandes œuvres d’art. En 1606, Shakespeare écrira King Lear, Macbeth et Antoine et Cleopatra. Au même moment, des compositeurs comme Bach, Vivaldi et Haendel entreprirent des expériences musicales qui devinrent le mouvement baroque, un mouvement musical qui influencera la musique pendant des siècles.

Faisons un autre bond de quelques siècles. Fin 19e et début 20e siècle, l’une des villes les plus insalubres du monde était La Nouvelle-Orléans. La chaleur, l’humidité, les marécages et l’influx constant de navires en provenance du golfe du Mexique, des Carraïbes et d’un peu partout à travers le monde en feront une plaque tournante pour des maladies comme l’influenza — une pandémie de la maladie en 1889-90 a tué au moins un million de personnes —, le choléra, l’encéphalite, la fièvre jaune et, encore une fois, la peste bubonique. Malgré cela, La Nouvelle-Orléans trouvera les ressources pour inventer le ragtime et le jazz, la forme dominante de musique en Amérique du Nord pendant la première moitié du 20e siècle.

Lorsque le jazz s’est répandu aux quatre coins du monde dans les années 1920, il y a lieu de se demander si c’était une réaction de joie dans la foulée de la fin de la première Grande Guerre ou dans la foulée de la fin de la pandémie de grippe espagnole de 1918-1920. Sans doute un peu des deux.

Prenons encore l’exemple de la crise du SIDA/VIH de la fin du 20e siècle. Pensez à la quantité phénoménale d’œuvres remarquables — musique, théâtre, romans, films, chorégraphies, et j’en passe — qui a été inspirée par cette pénible époque.

Maintenant, prenez un instant pour réfléchir à ce qui se passe aujourd’hui. Les temps sont sombres pour l’industrie de la musique. Personne n’est en tournée. Les salles de spectacles sont fermées. Les ventes de musique sont à leur plus bas niveau depuis les années 60. Même la diffusion en continu est en baisse, vraisemblablement parce que les gens se tournent vers d’autres formes de divertissement pendant leur confinement. Les musiciens, leurs équipes techniques, les promoteurs, agents, gérants — tous les gens associés de près ou de loin à l’art et aux affaires musicales — ont vu leur façon habituelle de travailler complètement chambardée.

Mais ça ne veut pas dire qu’il n’en ressortira rien de bon. Les artistes ont déjà trouvé des façons créatives de rejoindre leur public sur diverses plateformes de diffusion en direct. D’autres profitent de ce temps pour créer, expérimenter et enregistrer. Combien de jeunes, ne sachant quoi faire d’autre, ont finalement ramassé cette guitare ou se sont assis au piano et se sont découvert un talent inné pour la musique ? Certaines entreprises ont mis gratuitement à la disposition de tous des applis de synthés afin que les gens puissent s’amuser. Qui sait ? Cela pourrait déboucher sur quelque chose d’incroyablement bon et inattendu ! Je parie que ce sera le cas.

Quand tout ça sera derrière nous, on pourrait bien se retrouver avec encore plus d’excellente musique que ce qu’on pourrait penser. L’automne 2020 et les premiers mois de 2021 pourraient fort bien être une période très excitante. Et même si les concerts virtuels et les diffusions en direct se poursuivent, notre société aime être présente physiquement lorsque des œuvres d’art sont présentées publiquement. Les spectacles et les tournées reprendront de plus belle.

D’ici là, je suggère à tous les artistes de tenir un journal quotidien. Notez tout ce que vous ressentez et toutes vos observations sur l’actuelle condition humaine. Documentez ce qui se passe à votre façon bien personnelle. Qui sait quelles percées créatives en ressortiront ?

Mais avant toute chose, tenez bon. Demeurez en sécurité et protégez votre santé. Concentrez-vous sur ce que vous faites le mieux. Si le passé est garant de l’avenir, cette période anxiogène débouchera sur de grandes œuvres d’art. Et l’une d’elles sera peut-être la vôtre.

À propos d’Alan Cross