Conventions d’indexation de la musique

publié 11/23/2015

Par Jean-Robert Bisaillon

Immanquablement, dans les conférences et ateliers de professionnels de l’industrie, lorsqu’un panelliste aborde le sujet des métadonnées, la plupart des membres de l’auditoire roulent des yeux et bayent aux corneilles. Pourtant, inclure des balises de métadonnées dans vos œuvres est absolument crucial : c’est la seule manière de vous assurer que lorsque l’on jouera votre musique, on la reconnaîtra comme vôtre et vous recevrez votre juste compensation pour son usage. Jean-Robert Bisaillon, membre de la SOCAN siégeant à son conseil d’administration et fondateur du projet de métadonnées libres TGiT – vous explique certaines des conventions utilisées dans le balisage et l’indexation d’œuvres musicales.

C’est bien connu dans la communauté des métadonnées : nous éprouvons encore de nombreux problèmes en ce qui a trait à la sémantique — le sens que l’on donne aux mots —, aux champs d’information et aux contenants utilisés pour rattacher des informations descriptives aux fichiers musicaux ou pour les inscrire dans des bases de données. Une partie de ce qui explique l’inexactitude des standards actuels est l’ignorance mutuelle des fondements respectifs des communautés de la musique et du développement logiciel. Une autre source d’inexactitude provient du fait que les descriptions de tâches dans l’industrie de la musique ont changé du tout au tout depuis l’âge d’or des studios d’enregistrement, ce qui a rendu certains concepts un peu flous. Finalement, la chaîne des droits musicaux est extrêmement complexe et change en fonction des territoires et des jurisprudences, et nombreux sont les ayants droit qui se perdent dans cette jungle.

Les conventions d’indexation remettent en question les frontières de notre métier et de la chaîne de valeur de la musique. Prenons l’exemple de l’interprétation problématique entourant les termes « éditeur », « producteur » et « étiquette de disque ».

Mais d’abord un rappel de base : l’enregistrement musical incorpore toujours une œuvre musicale, mais l’œuvre et l’enregistrement de celle-ci sont deux objets culturels différents qu’il ne faut jamais confondre. Chacun comporte des métadonnées d’indexation différentes. Nous devons par conséquent être très prudents lorsque nous utilisons des termes comme « piste », « pièce » « chanson », « disque » ou même « musique », ou tout autre terme permettant de confondre l’un avec l’autre. Ceci est particulièrement important pour décrire tous ceux qui sont actifs dans la création et l’enregistrement d’œuvres. C’est là que se produit la majorité des erreurs.

Dans l’industrie du livre, l’éditeur a un intérêt propre tant dans le livre comme objet que dans le texte qu’il contient. Dans l’industrie de la musique, nous devons absolument séparer la chanson, son enregistrement et le disque ou fichier informatique commercial qui transporte le son jusqu’à nos oreilles. La confusion vient souvent du fait que certains projets sont contrôlés par une entité qui agit dans plusieurs fonctions allant de l’édition musicale à la production du disque, aux activités de l’étiquette. Nous devons, ici aussi, séparer les trois entités afin d’y voir plus clair.

Une œuvre musicale, c’est-à-dire une chanson ou une composition, peut être publiée dans le cadre d’un concert sans l’existence d’un enregistrement. Nous devons donc nous abstenir d’utiliser le terme « éditeur » au sens de celui qui rend un enregistrement disponible et utiliser plutôt le terme étiquette (ou maison) de disques dans de telles circonstances. Lorsqu’un enregistrement est produit, celui-ci sera toujours mis en marché à l’aide d’une licence accordée par le producteur au bénéfice d’une étiquette de disque, et cette étiquette pourra changer en fonction du territoire, tandis que le producteur original de l’enregistrement demeurera toujours le même.

La convention de balisage ID3 qui a été utilisée pour les fichiers sonores au format MP3, ainsi que la convention de balisage Vorbis Comments utilisée pour les fichiers au format FLAC, confondent fréquemment ces concepts. Examinons quelques exemples utilisant le format dit du « contenant à quatre lettres » du ID3 version 2.4. L’information entre parenthèses est celle fournie par la communauté ID3.

TPUB (Éditeur ou Étiquette de disque). Voilà un exemple parfait. Comment est-il possible que les éditeurs musicaux et les étiquettes de disque partagent le même conteneur?? Ce champ ne devrait être utilisé QUE par l’éditeur musical de l’œuvre, PAS par l’étiquette de disque. TPUB = Éditeur musical (Song Publisher).

TOWN (Propriétaire/licencié du fichier). Celle-ci n’est pas trop mal. Elle devrait être utilisée par l’étiquette de disque licenciée du fichier (pour la mise en marché). Par contre, nous ne devrions pas l’utiliser pour le producteur détenteur de la propriété intellectuelle de l’enregistrement sonore original (propriétaire). TOWN = Étiquette de disque (Record Label).

TDRC (date d’enregistrement) et TPRO (un amalgame du ? + l’année + le détenteur de la propriété intellectuelle de l’enregistrement original). Le ? est un modèle très américain et nous le voyons peu en dehors des États-Unis. Nous croyons que ces deux champs devraient être remplis séparément, mais affichés conjointement. Il est important de comprendre que le « détenteur de la propriété intellectuelle de l’enregistrement sonore original » décrit strictement la compagnie de production qui a payé pour les enregistrements et c’est ce que nous souhaitons. TPRO = Producteur (Master Recording Production Company).

Et, en fin de compte, que ferons-nous du réalisateur, celui qui participe à la direction artistique du projet?? En français, on parle de « réalisateur » pour décrire le directeur artistique d’un projet, mais il n’y a pas d’équivalent anglais clairement établi (on parle parfois du music producer). La norme ID3 réfère au réalisateur dans ce qu’elle appelle la « liste des personnes impliquées », l’une d’entre elles devant être l’individu agissant comme réalisateur de la chanson. Dans le champ TIPL (The Involved People List), plusieurs réalisateurs, ingénieurs sonores, et ainsi de suite, seront inscrits, séparés par une virgule. TIPL = Réalisateur (Music Producer).

Sous le nouveau régime numérique, notre industrie doit arriver à mettre de l’avant des définitions claires et s’assurer que les conventions informatiques s’arriment à nos pratiques, et non pas l’inverse.

Au sujet de Jean-Robert Bisaillon

Jean-Robert Bisaillon milite pour l’amélioration des conditions de pratique des créateurs des musiques populaires et de l’autoproduction. C’est un conférencier et un formateur en demande sur les thèmes de la gestion de carrière artistique, l’exportation et les enjeux de la musique numérique. Il a coordonné le «Forum des musiques amplifiées» et fondé la SOPREF en 1997-98. Il était musicien avec French B dans les années 1990 et fut l'un des premiers à utiliser le "sampling" au Québec. Plus récemment, il a fondé iconoclaste-TGiT, entreprise de recherche et de formation sur les enjeux de la culture numérique. Il siège ou a siégé sur de nombreux conseils et tables sectorielles : SOCAN, Musicaction, Songwriters Association of Canada, Comité directeur d’Option culture / Virage numérique (SODEC/MCCCF), Francouvertes, MUTEK, Groupe de travail sur la chanson québécoise, CIBL, CDEC Centre-Sud-Plateau-Mont-Royal.  Il est éditeur et co-auteur du premier Guide d’autoproduction de l’enregistrement sonore (2002), co-auteur du Guide pratique France-Québec du disque et du spectacle (2006, Paris, IRMA éditions) et auteur du «Petit guide Internet des auteurs et compositeurs» pour la SPACQ (2008). Il a complété un grade de maîtrise en mobilisation des connaissances à l’INRS–UCS (2013), sur les métadonnées musicales.

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