
Par Andrew Berthoff
« When I was younger, so much younger than today », bref, j’ai grandi avec Les Beatles. Je dois remercier ma maman mélomane pour ça. Parmi mes premiers souvenirs de la fin des années 60, je me souviens être assis à la maison à colorier et à écouter des 33 tours comme Aftermath des Stones, Tommy des Who (je me souviens m’être demandé ce qu’était « Tommy-The-Who » et s’il était comme le Nowhere Man), Blind Faith, Simon & Garfunkel, Cream et, bien sûr, les Fab Four.
Je devais avoir environ 5 ans quand Let It Be est sorti. J’étais l’unique compagnon de ma mère durant le jour pendant toute une année ; mon grand frère et ma grande sœur étant déjà au primaire.
Elle m’emmenait avec elle au cinéma pour voir des films comme Yellow Submarine, True Grit, Bananas de Woody Allen, et je me souviens très bien avoir vu Let It Be au cinéma Varsity. Mes souvenirs les plus marquants sont le plan d’une personne âgée escaladant une échelle de toit sur Savile Row pour avoir un meilleur point de vue sur le groupe, et aussi que John et George me faisaient un peu peur. J’étais plus dans l’équipe de Paul et Ringo.
Même si les Beatles font partie de mon ADN, je ne me considère pas comme un fan fini comparé à d’autres groupes pour lesquelles j’ai consigné à ma mémoire le moindre détail de tout ce qui s’y rapporte. N’empêche, je connais leur musique par cœur et je dirais sans la moindre hésitation qu’ils sont le meilleur groupe de l’histoire. Personne n’a écrit de meilleures chansons, sauf peut-être Cole Porter.
Comme on dit en bon français, j’ai « bingé » l’épique documentaire Get Back de Peter Jackson. Ces neuf heures ont passé comme un coup de vent et je ne comprends pas, même si on tient compte de notre déficit d’attention collectif, comment certains ont pu se plaindre que c’était « trop long ».
Trop long?! Ce sont les 50 années qui se sont écoulées sans qu’une nouvelle séquence ou un nouveau fait soit révélé sur le groupe qui sont trop longues. La sempiternelle histoire révisionniste du groupe est ce qui dure depuis trop longtemps. Trop, c’est le nombre de ces personnes qui nous ont désormais quittées : Lennon, Harrison, Linda McCartney, George Martin…
Après cinq décennies de néant, neuf heures de nouvelles images brillantes et authentiques, c’est tout.
Je ne peux pas imaginer un point de vue plus émerveillant sur l’art et le talent requis pour la création musicale professionnelle que Get Back. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la quantité de travail que ces génies mettent dans leur art. Si vous pensiez qu’une chanson de quatre minutes prend une minute à écrire, vous allez déchanter rapidement. Chacune de leurs chansons est peaufinée, manipulée et retravaillée au fil d’intenses séances de travail pendant un long mois rempli de longues nuits à travailler comme des chiens.
Ils avaient beau être le plus grand groupe du monde, mais ils se sont mis au TRAVAIL
 Get Back n’a que du positif pour les créateurs de musique professionnels. Je ne suis pas auteur-compositeur, mais j’ai écrit et publié de la musique et il est malheureux que trop souvent, le travail d’une vie soit balayé du revers de la main comme étant jetable et « facile ». C’est comme dire qu’un athlète des ligues majeures est « payé des millions pour jouer à un jeu d’enfants », sans tenir compte des milliers d’heures d’apprentissage continu, de pratique et de perfectionnement qui lui ont permis d’en arriver là .
S’il y a une scène de Get Back qui m’a particulièrement fait vibrer, c’est celle où John, George et Ringo sont dans un coin du studio pour discuter d’un sujet plutôt sans importance avec le légendaire producteur Glyn Johns. Hors champ, on entend les tout premiers accords de ce qui deviendra « Let It Be » joués par Paul, assis au piano. Le reste du groupe n’y porte aucune attention et continue de discuter, personne ne sursaute en criant  : « Paul, c’est QUOI ça! » Non, ils discutent parce que c’est ça, la création musicale au quotidien.
Même si pour moi ce moment est emblématique du processus créatif (j’imagine des doigts tendus sur le point de toucher le toit de la chapelle Sixtine), c’est l’un des nombreux incidents discrets, mais envoûtants de Get Back. C’est une expérience profondément spirituelle et quasi religieuse.
J’ai toujours pensé que chaque fois qu’un auteur-compositeur se vante d’avoir mis « 20 minutes à écrire » une chanson à succès, il se rend un mauvais service à lui-même et à ses collègues créateurs de musique.
L’essence de la chanson a peut-être vu le jour en quelques minutes, mais c’est sans compter les années d’apprentissage, de pratique et de préparation qui lui ont permis d’arriver à ce point, et les heures, les jours, les semaines de travail de huit jours, sans parler des mois de bidouillage, d’arrangements, de répétitions, d’enregistrement et de matriçage qui ont fait de sa chanson le succès qu’elle est devenue.
Aucun des membres des Beatles, de mon point de vue, n’avait de prétention ou de grands airs dans les images qu’on voit. Ils avaient beau être le plus grand groupe du monde depuis huit ans, ils se sont quand même présentés au studio avec leurs instruments et ils se sont mis au travail. Ils débattent, cajolent, plaisantent, poussent, ajustent – en un mot, ils collaborent. Ils ne sont pas entrés dans l’espace de répétition avec des idées préconçues de grandeur, ni même avec une indication perceptible à mes yeux qu’ils étaient convaincus qu’ils allaient créer quelque chose de bon.
En effet, comme les meilleurs d’entre nous, c’est leur humilité créative qui a semblé les pousser à aller de l’avant, sans présomption, jusqu’à ce que, finalement, la créativité cède au commerce. Les interruptions créatives des tentacules commerciales commencent à être perceptibles dans la troisième partie de Get Back. Pour moi, un moment aussi triste que les premiers accords de « Let It Be » sont là où la magie s’opère.
On doit beaucoup aux Beatles, mais on doit un immense merci à Get Back de présenter le réel contexte de l’art, du talent et surtout du travail acharné qu’exige la création musicale. Ce que le fil documente, c’est la genèse du génie.