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Payer sa musique

publié 09/30/2015

Par Michael Holt

Devrions-nous payer pour la musique ? Quand est-ce approprié de télécharger des chansons gratuitement ? Combien d’argent devrions-nous laisser en pourboire ? Comment les musiciens peuvent-ils survivre à l’heure où tant de musique est disponible gratuitement ?

Voilà quelques questions sur lesquelles je me penche dans un livre que je suis actuellement en train d’écrire et qui s’intitule Eating Music: How to Reverse the Commodification of Music and Restore its Sacred Place in Our Lives (Manger de la musique : comment freiner la marchandisation de la musique et lui redonner sa place sacrée dans nos vies).

Le message de base du livre est que notre culture a graduellement érodé la valeur de la musique, que ce soit au chapitre de ce que nous sommes prêts à payer pour celle-ci qu’à notre relation avec celle-ci, comment nous l’écoutons, la créons et la jouons. Le Livre s’intitule Eating Music car son but est de faire pour la musique ce que les mouvements Slow Food et Locavore ont accompli pour la nourriture : nous inviter à ralentir la cadence et à consommer de manière consciente, engagée, respectueuse et locale. En d’autres mots, créer des expériences communes de haute qualité et satisfaisante plutôt qu’une quantité immense d’expériences individuelles sans profondeur.

Michael Pollan, le leader d’un de ces mouvements alimentaires, a mis de l’avant un slogan qui résume bien cela : « Payer plus, manger moins ». Dans la perspective de la nourriture, l’approche est toute simple : si nous consommons des ingrédients bio de haute qualité cultivés et vendus localement, nous en retirerons une expérience beaucoup plus satisfaisante qui nous empêchera d’avoir envie de manger excessivement.

Je crois que l’on peut appliquer la même logique à la musique. Plus nous la consommons en lui accordant le temps, l’argent, les efforts, la passion et le soin qu’elle mérite, plus cette consommation deviendra satisfaisante. De plus, moins nous nous surstimulons avec la musique, plus elle retrouvera sa valeur et plus nous serons disposés à payer pour celle-ci.

Voici quelques-unes des grandes lignes de ma pensée sur l’achat de musique. J’applique moi-même ces principes depuis plusieurs années, en j’en ai grandement bénéficié. Je vous propose ces quelques suggestions comme étant des choses que vous pourriez faire, dans l’espoir que certaines d’entre-elles vous inspirerons.

1. N’accédez pas trop à la musique en ligne.
Plus vous consommez d’une chose, plus elle perd son caractère spécial. C’est fantastique d’avoir autant de musique à la portée des doigts, mais de combien de musique avons-nous réellement besoin ? Prenons-nous vraiment le temps d’écouter toute celle que nous avons afin de créer une véritable relation avec celle-ci ? Peut-être serions-nous plus heureux si nous réduisions notre consommation d’expériences en ligne virtuelles.

2. Lorsque c’est possible, achetez votre musique directement du site web de l’artiste.
Les artistes touchent souvent moins d’un sou par chanson à travers des services de musique en ligne! Mais si vous achetez la musique directement sur le site de l’artiste, pratiquement tout l’argent ira directement à l’artiste, peu importe le prix demandé. Cela fait une énorme différence pour les quelques secondes de plus que cela vous demandera. De plus, vous devenez ainsi un consommateur plus actif en refusant de vous laisser imposer la musique et les termes commerciaux des grandes entreprises du domaine.

3. Écoutez des albums, procurez-vous des albums et payez pour ces albums.
Lorsque je télécharge de la musique, j’essaie autant que possible de me procurer tout l’album, parce que a) je suis assez certain que si j’aime vraiment une chanson, il y a de bonnes chances que j’aime le reste du disque, et b) c’est une marque de respect envers les artistes qui, la plupart du temps, créent leurs albums afin que les chansons aient une cohérence d’ensemble.

De plus, écouter un album au complet est aussi une bonne façon de ralentir mon écoute et ma consommation globale, et, à dire vrai, ma vie. La première fois que j’écoute un album, je me fais toujours un mot d’ordre de l’écouter en entier.

Et à moins qu’un artiste le donne volontairement, je paie toujours pour cet album au lieu de tenter de le trouver gratuitement ailleurs. Il y a trois raisons pour cela, et les voici : a) lorsque nous recevons quelque chose ayant de la valeur, payer pour cette chose est une des façons d’exprimer sa gratitude, et cela est crucial pour donner un sens à cette expérience, pour créer un lien, une complétion ; b) étant donné que la musique que je télécharge est majoritairement d’artistes peu connus, payer pour celle-ci m’apparaît encore plus important ; c) comme je télécharge somme toute assez peu, je peux me le permettre financièrement.

4. Découvrez la culture et la musique locale et indépendante.
Cela est particulièrement vrai pour les gens qui habitent les grandes villes, mais si vous vous en donnez la peine, vous serez ébahis de constater la quantité de bonne musique créée à deux pas de chez vous, et créer un lien avec celle-ci est beaucoup plus significatif que la consommation d’artistes que vous ne pourrez jamais rencontrer. Je vais souvent voir des spectacles de groupes locaux et j’ai ainsi découvert bon nombre d’artistes et de groupes que j’aime vraiment et avec qui j’ai développé des relations personnelles avec les membres. De plus, si je laisse de l’argent dans la jarre à pourboires ou achète l’album, je sais que tout l’argent va directement aux artistes.

5. Lorsque le paiement est laissé à votre discrétion, payez en fonction des émotions que vous a procuré la musique.
Il y a des cas où le choix qui s’offre à nous n’est pas tant de payer ou non la musique, mais de quel prix payer pour celle-ci, un peu comme un musicien de rue qui passe le chapeau après sa performance. De plus, à cause des changements que subissent les normes internet et notre économie, je crois que nous verrons de plus en plus de situations de paiement volontaire de ce genre au cours des années à venir.

Cependant, à cause de tendance actuelle à l’uniformisation des prix, nous n’avons plus l’habitude d’évaluer la qualité d’une expérience ou de la conversion de cette évaluation en prix. C’est pourtant une chose très valorisante.

Si on nous en donne la chance, je crois que payer pour de la musique devrait être une réponse honnête aux émotions qu’elle nous procure. La musique fait partie de notre culture, de notre société, et toutes deux bénéficierons de notre réaction honnête à leur égard. Si nous soutenons de la musique qui ne nous touche pas, les artistes qui la créent seront mal informés sur ce que les gens aiment, et s’ils ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes, le niveau général de notre culture en souffrira. À l’opposé, si nous payons plus pour des artistes qui nous touchent vraiment, ces artistes seront encouragés et auront les moyens de continuer, et leur travail finira par toucher de plus en plus de gens.

En d’autres mots, ne payez pas un prix donné juste parce que tout le monde le fait, par politesse ou parce que c’est le montant suggéré, ni même parce que vous voulez « soutenir cet artiste ». Procédez à une évaluation honnête de la valeur de l’expérience que vous avez vécue grâce à cette musique puis attribuez lui une valeur qui lui correspond. Évidemment ce montant doit être fonction de vos moyens. Pour l’artiste, un don de 5 $ de la part d’un étudiant signifie autant qu’un don de 20 $ de la part d’un professionnel de l’industrie. Si vous êtes comme moi, un montant vous viendra sans effort lorsque vient le temps de payer : faites confiance à votre instinct !

6. Payez après avoir écouté, pas avant.
Pour pouvoir évaluer la valeur d’une expérience, vous devez avoir vécue ladite expérience. Donc, lorsque c’est possible, ne payez qu’après avoir écouté toute la musique. Laissez de l’argent dans la jarre à pourbopire à la fin du concert, pas au début.

7. Réagissez de façon non monétaire.
Ce qui revêt encore plus d’importance que de savoir si nous payons pour la musique ou combien, c’est de faire part de nos impressions. Nous vivons dans une culture de non réponse, une culture où nous avons peur d’exprimer nos sentiments négatifs autant que nous avons peur d’exprimer notre sincère gratitude aux autres. Ceci s’explique en partie par la monétisation de pratiquement tous les aspects de notre vie. Tout a un prix, ce qui fait que nous avons perdu la capacité de nous exprimer de manière plus personnelle qu’en sortant de l’argent.

Pourtant, plus vous exprimez vos impressions à un artiste, plus vous créez un lien avec celui-ci, et plus cette relation sera mutuellement bénéfique.

L’argent ne sert qu’à exprimer une quantité : plus ou moins. La musique, elle, peut vous faire vivre un gamme infinie d’émotions et d’expériences qui vont au-delà du domaine de la positivité ou de la négativité ; elle peut, par exemple, vous faire ressentir de la curiosité. Ne réagissez pas uniquement avec votre portefeuille, mais aussi avec vos mots, votre implication, vos questions, votre présence. Lors de prestations sur scène, vous pouvez poser des questions, partager vos impressions et vos sentiments, et même faire des demandes. La majorité des artistes apprécient vraiment de savoir qu’ils ne jouent pas pour une salle vide mais pour un auditoire des personnes sensibles. Vous pouvez même réagir à de la musique enregistrée : trouvez le site internet de l’artiste et envoyez leur un message détaillé sur les émotions que leur musique vous a procurée. Cela vaut de l’or pour eux.

Si une compensation est volontaire, elle n’a pas toujours à prendre la forme d’argent. Donnez ce qui a un sens pour vous, ce qui vient du fond du coeur. On m’a « payé » de toutes sortes de manières très différentes : des tartes pour tous les membres de mon groupe que nous a apporté un fan en Caroline du Nord, un petit mot d’une enseignante qui avait été profondément touchée par un de mes albums, des légumes en guise de paiement pour une prestation dans un marché public, ou cette étudiante qui voulait acheter mon album mais n’avait pas d’argent et qui a couru jusqu’à sa chambre dans les résidence de l’université pour en revenir avec une petite toile d’un élélphant rose qu’elle avait peinte. Cette toile est accroché à un mure chez moi et elle vaut bien plus que les 15 $ que cette étudiante aurait pu me donner.

Réagir avec des mots ou d’autres manières non monétaires redonne un sens, une vitalité et un aspect sacré à nos échanges et à nos relations qui sont devenues exsangues à cause de notre culture monétisée à l’excès. Il faut simplement se souvenir que certaines personnes et certaines expériences nous apporte une réelle valeur et que nous avons la capacité de redonner quelque chose de bien concret en retour.