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Un rapport de la CISAC démontre que la musique est toujours aussi populaire

publié 03/9/2015

Par Eric Baptiste

CISAC, la confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs comptant 230 membres provenant de 120 pays, a récemment publié son rapport annuel sur les sommes perçues par ses membres. En tant que président du conseil d’administration de cette organisation, j’aimerais partager avec vous quelques-unes des conclusions que j’ai tirées de la lecture de ce document.

Malgré quelques réserves, dont notamment:

  • les taux de change inhérents à la devise de référence (l’euro) utilisée dans le rapport qui a un impact important et doit être pris en considération,
  • les données datant de 2013, puisque le rapport utilise des données avérées et non pas les projections établies par les sociétés,
  • le fait que tous les revenus destinés aux créateurs et aux éditeurs ne transitent pas nécessairement par ces systèmes de gestion collective (la synchronisation étant un bon exemple),
  • quelques rares organisations, par exemple HFA, aux États-Unis, ne sont pas membres de la CISAC et ne voient conséquemment pas leurs données incluses au rapport,

 certaines tendances se dégagent tout de même de ce rapport et méritent d’être soulignées.

La plus importante de ces tendances et que la popularité de la musique ne se dément pas (87% des sommes perçues), pas plus que la vigueur de sa monétisation — à l’exception des ventes d’enregistrements musicaux, tant physiques que numériques. Cela a de quoi nous inquiéter, bien entendu, puisque depuis les années 50, au moins, les enregistrements musicaux ont représenté une part importante des revenus des créateurs de musique et des entreprises telles que les maisons d’édition et les maisons de disque qui investissent dans le talent et le travail acharné de ces créateurs. Pourtant, malgré le déclin des droits mécaniques, les données financières ajustées pour le taux de change démontrent une croissance de 4,6% pour atteindre 7,8 milliards d’euros (un peu plus de 11 milliards de dollars canadiens).

Si on se penche sur les données par continent, les sommes perçues pour le compte des créateurs proviennent encore principalement des marchés traditionnels tels que l’Europe, l’Amérique du Nord, le Japon et l’Australie. Toutefois, le rapport 2015 indique qu’il y a du changement dans l’air. Bien que ces marchés traditionnels demeurent vigoureux et connaissent même une certaine croissance, les pays du BRICS, bien que les données financières soient somme toute basses, démontrent une forte croissance, tout particulièrement en Amérique latine. Cette tendance devrait se poursuivre et l’on devrait bientôt voir les sommes perçues en Chine augmenter de façon considérable.

Si l’on se tourne plutôt vers les secteurs qui ont généré ces redevances, comme c’est généralement le cas, le secteur des concerts de musique poursuit sa croissance et est conséquemment plus important que jamais pour les créateurs.

Un secteur dont on soupçonne moins la résilience est celui des médias traditionnels (radio, télé généraliste, télé spécialisée, etc.). On annonçait leur mort il y a quelques années, alors qu’on prédisait qu’ils allaient s’éloigner de la musique. Les pontifiantes prédictions ont un certain charme, mais la vérité se trouve dans les faits: la perception de droits d’exécution a atteint 6 milliards d’euros pour la toute première fois et la vaste majorité de ces redevances (45% du total!) sont provenues de la radio et de la télé. Les services numériques, tant musicaux (Spotify, Rdio, Deezer…) ou audiovisuels (p. ex., Netflix) semblent pour l’instant ajouter de la valeur au marché, et non pas miner les joueurs traditionnels.

Ce sont là d’excellentes nouvelles pour tous les créateurs et les entreprises qui les soutiennent, comme les maisons d’édition. Bien qu’il soit encore tôt pour se prononcer de manière définitive, cette situation semble respecter l’arc historique des industries du divertissement et des médias jusqu’à maintenant: ce n’est pas parce que les gens pouvaient acheter des CDs qu’ils ont cessé d’aller voir des concerts; la télé n’a pas trucidé la radio, les DVD et les Blu-Ray n’ont pas vidé les cinémas, et ainsi de suite.

Nous devons néanmoins demeurer aux aguets, parce que si, comme le faisait remarquer Jeff Zucker lorsqu’il était à la tête de Universal, «cette fois, c’est différent», nous pourrions voir les dollars analogiques se transformer en petite monnaie numérique.

D’ailleurs, seulement 5% des sommes perçues pour le compte des membres de la CISAC proviennent de sources numériques, mais cela laisse néanmoins place à un peu d’espoir: bon nombre de ces services ne sont pas encore offerts dans de nombreux pays, ils sont encore très «jeunes» et leurs parts de marché sont très petites.

Mais si les choses ne changent pas rapidement et que ces services numériques démontrent qu’ils peuvent générer de véritables revenus et non pas seulement d’impressionnantes évaluations boursières, les choses pourraient s’envenimer très bientôt.

Un monde sans canaux de télévision et peuplé uniquement de services par contournement (ou «over the top») facturés à raison de 10$ par mois ne suffira pas à soutenir la créativité audiovisuelle dont nous sommes actuellement les témoins alors que des séries télé acclamées sont produites partout à travers le monde, par exemple. Un monde où il n’y a plus de ventes d’enregistrements musicaux ni de radio — seulement des services en ligne financés par les ventes publicitaires — ne parviendra simplement pas à soutenir tout l’écosystème musical. Le compte n’y est tout simplement pas.

Malgré tout cela, comme le rapportait la CISAC pour l’année financière 2013 et la SOCAN pour l’année financière 2014, les créateurs musicaux et leurs éditeurs peuvent compter sur la force, le travail acharné et le succès financier de leurs organisations de droits musicaux en ces temps de profonds changements.